Catégorie : Débat « Sur le terrain »

Jour : Vendredi 30 Janvier 2015

Heure : 11h30 à 12h30

Lieu : Salle Tilleul

 

Animation : Laure Crombé (Doctorante Université Paris-Ouest) et Chloé Jolly (Déléguée Générale, réseau Projection).

 

Intervenants :

Doudou Habibou (Chef d’Exploitation d’Agadez, Société d’Exploitation des eaux du Niger),

Julien Eyrard (Responsable WASH Pôle Asie, Action contre la Faim),

Pascale Guiffant (Directeur Adjoint Développement durable, Suez Environnement)

Bruno Valfrey (Directeur et expert institutionnel, Hydroconseil).

 

Les problématiques abordées ont été les suivantes :

- Quels sont les problèmes et les défis particuliers en matière de création et d’accès aux services essentiels dans les bidonvilles ?

- Quelles solutions peuvent être mises en place pour y faire face ?

Illustration réalisée par Hélène Pouille

Introduction au débat par les animateurs

Le terme de bidonville est un terme générique qui cache en réalité des situations très variées d’un état à l’autre ou d’une ville à l’autre, ce qui rend difficile leur prise en compte par les approches globales.

 

Les bidonvilles sont des espaces informels qui prennent le pas sur les espaces formels au sein des villes du Sud. Ces espaces en forte croissance deviennent une sorte de « norme urbaine » dans certaines régions. En effet, la majorité de la population urbaine du Sud y vit. Aujourd’hui, plus d’1 milliard de personnes vivent dans des bidonvilles dont plus de 50% de la population urbaine d’Asie et plus de 70% de la population urbaine d’Afrique subsaharienne. Ce chiffre d’un milliard devrait doubler d’ici à 2030 (estimations de UN-Habitat).

 

La parole au public : Quels sont selon vous les problèmes et les défis particuliers dans les bidonvilles ?

• Les opérateurs d’eau n’interviennent que dans les endroits où les populations possèdent des titres fonciers,   c’est-à-dire quand l’habitat est formel. Ils ne peuvent intervenir que provisoirement dans les espaces non formels.
• La densité urbaine préalable crée des difficultés pour l’installation des réseaux.
• Il n’y a pas assez d’implication des populations des bidonvilles pour s’approprier les services essentiels qui leur sont fournis et les faire durer.
• Des considérations politiques sur les populations qui résident dans les bidonvilles, souvent dénigrées, mal-considérées, sapent également l’implication des autorités locales.

La parole aux intervenants

Quels sont les problèmes et les défis particuliers dans les bidonvilles ?

Les bidonvilles sont variés. Ils peuvent soit renvoyer à des quartiers historiques au sein de la vieille ville, soit en raison de l’explosion démographique et du changement climatique, à des installations à la périphérie des grandes villes ou dans des endroits abandonnés par l’Etat. Les bidonvilles sont en général les quartiers les plus exposés aux crises humanitaires. En effet, les gens s’installent là où il y a de la place c’est-à-dire dans les zones à risques (ex : zones inondables).

Au Niger, les opérateurs de services essentiels ne peuvent intervenir de façon légale lorsque les populations n’ont pas de titres de propriété, ni de façon coordonnée entre les différents services. Les populations rejettent par exemple des eaux usées mais ne bénéficient pas de système d’assainissement.

Les bidonvilles sont généralement les quartiers les plus exposés aux catastrophes naturelles. De plus, des problèmes de densité de population peuvent survenir dans les quartiers exigus, et rendre complexes les interventions, donc l’accès aux services essentiels. Cela favorise le développement et la propagation de maladies qui s’ajoutent, par exemple, aux risques de malnutrition.

Pour les grands opérateurs, il y a un double engagement. D’une part, le soutien à des partenaires locaux. De l’autre, l’engagement direct avec l’implication dans de grands contrats de PPP (Partenariats Public Privé) ayant pour objectif d’améliorer l’accès aux services dans les bidonvilles.

Quels sont les types d’interventions des différents acteurs des services essentiels dans les bidonvilles ? Quels sont les obstacles spécifiques ?

Le développement des services essentiels ne peut se faire sans volonté politique. Les populations doivent prendre conscience de leur pouvoir de groupe pouvant faire pression en termes de force électorale. C’est pour cela qu’il est essentiel de discuter avec les populations des bidonvilles avant et après la mise en œuvre des projets de services essentiels.

Concernant l’accès aux services essentiels, les opérateurs, les acteurs du développement sont souvent confrontés au cas par cas. Exemple : développer l’accès à l’eau potable est une nécessité et souvent la première en contexte de bidonville, néanmoins, si on apporte un accès en eau potable, il est également important de penser à l’assainissement solide et liquide. De même, la question de l’entretien et de la maintenance sur le long terme des infrastructures des services est fondamentale.

De plus, la nature du bidonville et les risques que son emplacement, comportent sont à prendre en compte. La pérennisation de la zone où se situe le bidonville est une des dimensions clés pour le développement des services. Les populations sont alors plus enclines à se prendre en charge. Schématiquement, deux situations existent face à la question de la pérennisation : dans les zones à risque il est difficile et dangereux de tenter de maintenir l’habitat sur place, la question du déplacement et du relogement est alors cruciale et délicate ; dans les zones illégales (sans titres fonciers) pérenniser l’habitat est supposément plus évident mais dépend avant tout du contexte politique. Légaliser le bidonville est le point de départ à tout développement afin d’aller au-delà des solutions temporaires en matière de service.

Dans l’accès aux services essentiels, les schémas d’ingénierie classique s’appliquent mal aux bidonvilles, quartiers informels et dégradés. Le concept d’ingénierie sociale semble s’imposer progressivement, c’est-à-dire développer les dimensions d’animation et de socialisation dans les projets d’infrastructures afin de créer le dialogue. Cela se traduit notamment par la sensibilisation et la formation de la population concernée pour permettre au mieux le bon fonctionnement du service apporté. .

Quelles articulations sont possibles avec les opérateurs des services essentiels sur le terrain ?

On constate que dans les bidonvilles, il y a des opérateurs informels. Comment utiliser ces opérateurs qui ont un niveau de vie proche de celui des personnes qu’ils desservent mais dont l’informalité les empêche de rentrer dans des cadres légaux ?

La solution est moins, pour une ONG, un bureau d’étude ou une entreprise étrangère, de les faire passer dans la formalité que d’essayer, avec eux, d’améliorer l’offre de service qu’ils proposent informellement ; par exemple leur fournir des investissements pour qu’ils puissent servir plus de personnes et améliorer la qualité des services fournis.

Dans certains cas, la question des opérateurs informels est encore plus délicate, notamment lorsqu’il s’agit d’opérateurs « mafias » qui fournissent des services essentiels à des prix beaucoup plus élevés que le réseau formel. Au Bangladesh, il existe des « marchands de sommeil » qui vendent un petit bout de trottoir où les gens peuvent dormir et avoir accès à certains petits services comme celui de l’accès à l’eau. Dans ces conditions, des questions d’éthique et de morale se posent lorsqu’il faut intervenir dans des espaces contrôlés par ces opérateurs. Il est impossible pour les sociétés de travailler avec eux. A Mumbai, les pratiques mafieuses autour de l’eau peuvent être dangereuses pour les équipes qui viennent sur place. La collaboration avec les acteurs informels est donc indispensable mais différentes selon les pays, les villes et les contextes. Amener les opérateurs informels et les services municipaux à travailler ensemble est une partie non négligeable de la solution afin d’étendre l’accès aux services dans les bidonvilles.

Au Niger, vidangeur est un métier qui rapporte mais dont l’image est dégradante. Il n’y a pas de collecte de déchets, les gens qui ont perçu l’attrait de cette activité se sont engagés à faire du porte à porte afin de réaliser la récolte de déchets. Il n’y a pas de concurrence de prix avec un service municipal, les prix sont élevés mais le travail est réalisé sans matériel ni protection.

Quelle gestion des opérateurs en matière de services essentiels faut-il mettre en place ?

Le cas des vidangeurs au Niger est emblématique des dangers que peut représenter l’activité informelle, qui occupe le terrain dans les bidonvilles (pour des raisons commerciales comme pour palier le manque). Dangers pour la population (eau non potable…) comme pour le fournisseur (conditions de travail précaires, danger des matières transportées…). En raison du rôle important que jouent ces opérateurs, tout projet concernant les services essentiels doit tenir compte de leur activité et faire attention à la concurrence qui peut y avoir entre eux. Le rôle d’un projet de développement d’ONG consiste également à apporter des éléments concernant la sécurité des opérateurs, du service, ou une meilleure organisation entre eux.

Concernant l’eau, il faut travailler sur la complémentarité entre petits et grands opérateurs publics ou privés.

Concernant la gestion des déchets, les pays du sud sont dans un processus de restructuration des décharges. Des acteurs informels travaillaient dans ces décharges. Là encore, la question de la collaboration avec ces acteurs s’est posée. Est-ce qu’il faut, et comment travailler avec eux ? Aujourd’hui dans les projets de réhabilitation des décharges, une aide systématique est fournie à la structuration des chiffonniers ; à travers leur intégration dans des structures qui en feront des partenaires à part entière du projet. Faire de l’animation et de l’ingénierie sociale est la première étape de ces projets pour comprendre comment aider à structurer ce secteur.

On a l’impression que les opérateurs formels travaillent en synergie avec le secteur informel ; mais est-ce vraiment le cas ? Pourrait-on sortir du modèle actuel et en avoir de nouveaux ? Peut-on penser de nouvelles villes à partir de ces initiatives ? Le bidonville est-il la ville de demain ?

Les bidonvilles représentent des zones d’innovation technique et sociale. Aux vues des enjeux sur les services essentiels, l’ensemble des acteurs doit être mobilisé car il n’y a pas de solution unique. De même, les solutions doivent se construire de façon bottom-up ; c’est en discutant avec les personnes que les solutions peuvent émerger.

On ne sait pas si le bidonville sera la ville de demain mais il y a une vraie croissance de ces quartiers. La plupart des grandes villes du Sud n’arrivent pas à gérer la croissance de la population urbaine et ne peuvent suivre en termes d’infrastructures urbaines.

Se poser cette question c’est aussi se demander s’il est souhaitable que des populations continuent à habiter dans des bidonvilles. Dans le cas des zones à risque, ce n’est pas possible, donc il faudra nécessairement relocaliser les personnes. Le problème de l’afflux de nouvelles personnes dans les bidonvilles est lié à différentes dynamiques sociales. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des migrations vers les villes qui sont temporaires.

Les municipalités et les gouvernements doivent vraiment se saisir de cette question car de plus en plus de personnes vivent dans des zones à risque notamment dans les métropoles côtières d’Asie, où le risque d’inondation et de submersion des bidonvilles croît avec les changements climatiques.

Idées clés

En matière d’accès aux services essentiels dans les bidonvilles, plusieurs problèmes se posent : zones à risque, pas de titre de propriété, densité urbaine, opérateurs « mafia »….

Cependant, ce n’est pas une mission impossible et des solutions existent. Il est important d’associer les différents acteurs en matière de services essentiels, de mettre en place une régulation et surtout d’associer les populations bénéficiaires de ces services.

Capitalisé par : Bertille LE BRUN